C’est le 11 juin, à 21 h, que était présenté, sur un des murs extérieurs de la Maison Gamman (située au 306, avenue Cyr, à Vanier), le projet L’hiver en été, une projection de vidéos sous le commissariat d’Izabel Barsive. Les artistes Raymond Aubin, Nadine Bariteau, Paula Franzini, Charlotte L’Orage, Doris Lamontagne, Komi Seshie et Laurent Vaillancourt ont participé à la création des vidéos.
On y retrouvait les réflexions, parfois spirituelles ou philosophiques, que chacun a menées sur l’effet de l’hiver dans leur vie quotidienne ainsi que sur leurs émotions : malaise face au passage à une autre saison, temps de réflexion, amour devenu haine… Un peu comme l’oblige la saison froide, le thème les a forcés à se recroqueviller à l’intérieur d’eux-mêmes et à s’immerger, inévitablement.
Les œuvres :
Charlotte L’Orage — Entière
L’hiver donnera naissance à un autre printemps. La fin d’un cycle est aussi son début. Entière explore le malaise qui hante le passage du renouvellement. Parce que tout s’arrête ? Mais la vie entre mes doigts est plus vivante que jamais. Elle m’immobilise d’abondance.
Doris Lamontagne — Nunc dimittis : il est temps.
La première neige. Sa beauté envoûtante invitant au jeu. L’hiver est arrivé. La froidure s’installe. Elle s’allonge. Il est temps de prendre un recul, temps de reconsidérer. Il est temps d’exprimer sa gratitude. Il est temps de faire son deuil et de passer à autre chose. Les souvenirs heureux persisteront.
Komi Seshie — Sur le pont des pionniers
La Sensation d’hiver !
En forêt l’hiver, les arbres garnis de nids de neige nous éblouissent. Le bruit n’existe plus, le calme prend place dans nos esprits. À la traversée d’un pont surplombant un ruisseau, une brise froide et silencieuse nous enveloppe. L’eau du ruisseau qui circule sous la glace cristalline ne respire plus. L’atmosphère voilée d’une membrane lactescente offre une vision paisible.
Laurent Vaillancourt — Amour’haine
Ah, qu’ils sont beaux les premiers flocons qui tombent doucement au début de l’hiver. Puis, les grands froids arrivent, le plaisir se gâche. La neige crisse sous nos pas, on n’en peut plus du manque de lumière, du froid et des amoncellements de neige qui incommode nos déplacements.
J’ai suivi en photos une petite épinette, à partir de ces photos, j’ai monté la vidéo. La bande sonore est le crissement des pas dans la neige. Nos yeux aiment, nos oreilles crient!
Nadine Bariteau — Retrieving
On dit parfois que si l’on était parti une minute plus tôt ou une minute plus tard le cours des évènements aurait été différent. Cette vidéo est la représentation visuelle du seul moment de ma vie que je voudrais être en mesure de reprendre. Retrieving fut mon premier témoignage visuel après avoir survécu à un accident de voiture dans lequel j’ai perdu ma mère Lucille.
Paula Franzini — Duo pour journal d’hiver et rivière d’hiver
Cette vidéo est un œuvre semi-abstraite d’ambiance et de nostalgie inspiré par un journal de ma mère d’hiver ’69 — surtout d’une rubrique sur une sortie de ski familiale le Jour de l’an; par l’imagerie actuelle de chez moi sur la rivière des Outaouais en hiver — me rappelant notre ancien chez nous; et par des photos de mon enfance pris par mon père..
Raymond Aubin — Convergence
L’hiver provoque une perte de repères : silence ouaté du paysage et gommage monochromatique. Convergence présente le plan-séquence d’une déambulation dans la forêt hivernale entre une image high-key et une trame musicale noire. La même déambulation est reprise en superposition et en transparence à des vitesses de défilement différentes.
«Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été.» — Albert Camus
La vidéo numérique est de plus en plus accessible, avec l’utilisation d’outils peu onéreux comme des téléphones intelligents ou des caméras destinés aux amateurs que les artistes professionnels se sont appropriés ces dernières années. Le montage de ces vidéos est aussi facilité par des logiciels de plus en plus intuitifs. Cela ouvre un champ d’exploration illimité aux artistes qui créent des vidéos d’art. Le projet «l’hiver en été» a été proposé à des artistes chevronnés ou débutants. Il oblige aux créateurs de réaliser une introspection sur l’effet de l’hiver dans leur vie quotidienne, mais aussi sur leurs émotions, pour certains même une réflexion spirituelle ou philosophique. Ils voient, écoutent l’hiver qu’ils captent malgré leurs préjugés, la contrainte physique. L’hiver oblige à se recroqueviller à l’intérieur de soi-même s’il est vécu ici au Canada. Le rapport avec l’environnement nécessite une adaptation quotidienne et nous confronte physiquement et mentalement tout comme la production de vidéogramme qui nous aliène aussi, en obligeant l’artiste à apprivoiser des outils qui peuvent l’intimider. L’hiver nous force à rester humbles face à la nature. L’immersion est inévitable que l’on soit ou adepte ou pas de cette saison. L’interprétation de l’hiver a été aussi possible dans un territoire sans neige ni verglas, mais pour des artistes venant du Nord, elle demeure quand même inscrite dans la mémoire du corps et de l’esprit.
C’est en été que ces projets audiovisuels sont projetés sur un mur de la maison Gamman dans le quartier de Vanier à Ottawa. Le public doit faire face à une saison qu’il souhaite souvent oublier, l’obligeant à repenser le présent et à revivre des instants du passé.
Non narratives, les vidéos d’art ont un pouvoir évocateur, elles offrent à l’artiste la possibilité d’explorer des outils sans être assujetti à la perfection, une obsession des concepteurs des projets commerciaux.
Les heures passées sur leur projet leur ont permis de vivre l’hiver à chaque instant avec authenticité face à cette saison jugée par beaucoup comme monochrome. Ces vidéos d’art traduisent l’obligation de communier avec l’hiver, de l’artiste avec son public dans un espace-temps décalé. — Izabel Barsive, commissaire
Le Centre d’artistes Voix Visuelle remercie le Conseil des arts de l’Ontario, le Patrimoine canadien, et la ville d’Ottawa de leur appui.
